Questions d’amour pour romans désemparés

Debora Cabral - I’m coming, I’m coming, 2019



« L’amour n’est pas seulement un sentiment, il est un art aussi. » Honoré de Balzac, La Recherche de l’absolu.


C’est de partout, c’est inévitable, c’est humain. Réels ou imaginaires, les gens s’aimeront. Un peu, beaucoup, avec passion, en toute innocence, jusqu’à la mort ou pour quelques heures, ils s’aimeront bien ou ils s’aimeront mal. Parfois ce sera d’un amour doux et familial, ou d’un amour joyeux et amical, parfois ce sera d’un amour immense et désintéressé, et bien sûr, de temps en temps, ce sera d’un amour tendre et romantique. Mais à quels personnages réserver quoi ? Comment le transmettre, ce sentiment qui est si dur à mettre en mots ? Faut-il seulement s’en préoccuper tant que ça quand le sujet du roman est la course poursuite d’un extraterrestre au travers de la galaxie pour retrouver un criminel, ou encore une violente dystopie avec des zombies, de l’action, de l’action et — ah, oui, tout de même, quelques gens au milieu, tentant de survivre…?  


Pour tous ces romans qui ne savent pas très bien que faire quand il s’agit d’amour, voici aujourd’hui quelques questions pour s’aiguiller et essayer de trouver ce qui correspondra le mieux à son histoire et à ses personnages. 

 

Debora Cabral - One sad son, 2019



De quoi mes personnages ont-ils besoin ?

On le sait : qu’ils soient principaux ou non, chaque personnage d’un roman est le héros de sa propre histoire, avec des désirs et des attentes propres à la vie que vous lui avez créée. Deux routes se mettent alors généralement en place pour un personnage tout en profondeur. Il y a bien sûr, tout d’abord, ce que le personnage recherche explicitement, c’est-à-dire son but dans votre intrigue principale. Retrouver un artefact magique, sauver le monde, chasser un fantôme, etc. De là naît la motivation extérieure du personnage : veut-il être un héros ? Veut-il aider un ami ? Comprendre davantage le monde qui l’entoure ?  


Néanmoins, il faut également penser à ce dont le personnage a réellement besoin, au-delà de la motivation de surface. Un trait commun à beaucoup de héros, par exemple, est de réaliser que ce qu’il pensait désirer (gagner un tournement, empocher l’argent d’un sale boulot, résoudre une dernière affaire avant de se retirer en ermite du monde) est en fait un désir superficiel, qui cachait un besoin plus profond qu’il apprend au cours du roman à embrasser et parvient parfois à assouvir (trouver une famille de coeur, aider son prochain, apprendre à apprécier un quotidien qui recèle en fait beaucoup de beauté). Dans les romans où la romance, ou l’amour de façon générale, n’apparaît pas comme au centre de l’intrigue principale, son apparition se fait donc souvent à travers les besoins implicites de vos personnages, et permet de résoudre leur arc émotionnel de façon satisfaisante pour vos lecteurs. Évidemment, ce n’est absolument pas une nécessité pour une histoire réussie. Mais pour savoir si, dans ce cas précis, vous avez besoin de sortir votre arsenal d’émotions littéraires, c’est bel et bien la première question à vous poser.  

 

Debora Cabral - One (1) friend, 2019



Quels liens possèdent mes personnages ?

La plupart de vos personnages ne seront pas des personnages complètement solitaires et retirés de toute vie sociale. Ils auront une famille, des amis, d’anciens et nouveaux amours, des voisins, des connaissances, des ennemis, peut-être un animal de compagnie qu’ils adorent. Lesquels d’entre eux apparaissent dans votre histoire ? Lesquels ont eu un impact — positif ou négatif — sur vos personnages ? Combien d’entre eux les ont influencés dans le passé, et comment certains d’entre eux les influencent-ils encore au cours de l’intrigue principale ? Y a-t-il une grand-mère sage dont les conseils résonnent encore à l’oreille de l’héroïne ? Un charmant frère disparu de façon tragique des années auparavant dont le souvenir rend le héros mélancolique et renfermé ? 


Même s’ils n’apparaissent pas forcément dans l’histoire principale, ces liens permettent de mieux comprendre votre personnage, et décider avec un peu plus de précision ce qui le guide dans son intrigue et son arc personnel. Ainsi, une fois que vous avez déterminé le besoin implicite du personnage, regardez les liens qui existent déjà dans son entourage : ce besoin peut-il être résolu en faisant interagir le personnage avec les gens qu’ils connaissaient déjà ? Faut-il ici approfondir une relation en particulier, faut-il au contraire couper les ponts avec ce passé trop lourd et mener le personnage vers d’autres lieux, d’autres gens, qui pourront lui permettre d’évoluer, grandir, le rendre meilleur ou, bien sûr, selon votre intrigue, le rendre bien pire ?  

Debora Cabral - M o r e friends, 2019


Quelle importance apporter à quelles relations ?

Là peut se cacher un danger bien connu des écrivains à l’imagination fertile, pour qui les personnages sont les enfants qu’ils ont passé des heures, des mois, parfois des années à créer. Vouloir passer trop de temps à explorer toute sorte de relation pour tous leurs personnages, oui, même Gérard qui vend les meilleures courgettes du village et n’apparaît que dans le chapitre 15. Lorsqu’on a appris à connaître tous les gens qui peuplent son histoire, il est difficile de résister à la tentation d’en explorer tous les tenants et aboutissants. Néanmoins, à moins qu’il ne s’agisse là spécifiquement de l’intrigue proposée par le livre, il est important de cerner quelles relations sont celles sur lesquelles on a besoin de s’appesantir, et quelles relations peuvent être offertes, décrites, ou résolues en quelques lignes (deux phrases de dialogue peuvent suffir à nous faire comprendre que Gérard et sa femme ont besoin de plus d’argent pour nourrir leur dernier enfant et qu’il va donc falloir s’améliorer sur la vente des aubergines aussi). 


Certains choix sont évidents : oui, il faudra passer plus de temps à explorer les relations de vos personnages principaux que celles de vos personnages secondaires. Non, une histoire d’amour, même si elle n’est pas l’intrigue principale, ne peut pas simplement exister par vertu que notre personnage A est un homme et notre personnage B est une femme, et qu’ils sont tous les deux très très sexy. Il faudra passer du temps à construire une relation ici, d’une façon ou d’une autre. Certaines seront plus difficiles : faut-il que le père du personnage principal réapparaisse pour combler la blessure qu’il a laissée derrière lui  ou est-ce que cela gênerait l’intrigue ? Peut-être faudrait-il plutôt prendre davantage de temps pour le décrire en train de devenir père lui-même, par exemple, pour le même résultat final.


C’est ici qu’il faut apprendre à faire un beau mélange de vos intrigues, principales et secondaires, et des besoins profonds de vos héros. Il faut qu’ils se nourrissent l’un et l’autre, se complètent, et qu’aucun ne se nuise. À chacun son moment, sa phrase, son paragraphe. Un fin et difficile exercice d’équilibre, certes, mais qui permettra à votre histoire de n’en devenir que plus riche. 



Debora Cabral - Unnamed, 2019



Comment transmettre à travers les pages tous ces amours ?

La plus grande question de toutes. Une fois que l’on sait quelles relations l’on veut approfondir, comment les faire naître aux yeux de vos lecteurs ? Comment leur faire ressentir la profondeur des émotions, l’intensité de l’amour porté, ou au contraire sa légèreté, son inconstance, sa fragilité ? À ce stade, ces personnages n’ont sans doute plus de secrets pour vous ou, s’ils en ont, vous les découvrirez bien vite en les mettant en scène et en les regardant faire quelque chose auquel vous ne vous attendiez pas du tout, bien que vous soyez celui en train d’écrire. Dès lors, des pistes s’offrent à vous : votre personnage est-il un personnage de mot ou d’action ? Aime-t-il silencieusement, avec difficulté, ou montre-t-il au contraire son amour au grand jour ? Comment aime-t-il ? Et que faut-il faire pour lui faire comprendre qu’il est aimé en retour ?


Établissez son langage de l’amour au début de l’intrigue; il ne dit rien, mais il prend sa mère dans ses bras avant de partir en voyage intergalactique. Il ne dit rien, mais laisse derrière lui un cadeau à sa petite sœur qu’il n'est pas sûr de revoir un jour. Il ne dit rien, mais il paie la dette de son meilleur ami. Ou alors, au contraire, il fait un beau discours au groupe l’ayant recueilli pour quelques mois, écrit une belle lettre pleine de compliments à ce garçon avec qui il pensait passer sa vie autrefois. Enfin, peut-être, il prend plutôt le temps d’offrir une dernière soirée à cuisiner avec la vieille voisine de dessus qu’il lui a appris tout ce qu’il connaît en courgettes (c’est important de garder un thème en tête).  


Avec quoi est-il à l’aise en retour ? Les mots, les gestes, les moments passés ensemble ? Armez de cette vision du personnage, montrez-nous comment, au fil du roman, il offre peu à peu ces mêmes gestes aux personnages qu’il aime ou apprend à aimer. S’ils n’aiment pas de la même façon l’un et l’autre, laissez-les d’abord avoir du mal à communiquer cet amour grandissant, puis apprendre à offrir à l’autre ce dont il a besoin progressivement. Jusqu’à ce que l’homme taciturne du début de roman, qui ne savait aimer que de loin en secret, et qui s’était instinctivement reculé lorsqu’une enfant avait voulu montrer son affection en l’embrassant sur la joue, ramène cette même petite fille dans son village d’enfance en la portant à moitié endormie dans ses bras, pressant un léger baiser sur le haut de sa tête. 


La clé d’un développement réussi d’une relation dans un roman, c’est bel et bien de connaître vos personnages. C’est de savoir reconnaître qui sera impulsif et embrassera avec passion son nouvel amour au bout de quelques pages, et qui sera plus lent, plus subtile, et ne touchera d’une main tremblante la joue de ceux qu’il aime que quelques chapitres avant la fin, au moment où tout semble perdu, incapable d’exprimer ce qu’il ressent à voix haute. 


Enfin — c’est un petit conseil bonus — n’oubliez jamais que les émotions, et notamment l’amour et tout ce qu’il peut entraîner avec lui, ne sont jamais que des mots. Parfois, on ne saurait nommer ou comprendre l’émotion qui nous envahit, mais cela n’empêche pas le cœur de battre plus vite, le sang de battre à nos tempes, notre estomac de se nouer, notre bouche de s’assécher. Cela ne nous empêche pas d’avoir notre regard qui cherche instinctivement l’être aimé. Cela n’empêche pas, au milieu d’une bataille, de se placer devant le danger pour protéger. Il ne s’agit pas seulement de nous dire ; il faut le montrer. 



Debora Cabral - A love story, 2018





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La Neuvième maison - Leigh Bardugo

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1 commentaire

  • Bravo.. j’ai adoré cet article !
    Cela donne (presque !) de me lancer dans la création d’un personnage 😉

    Corinne

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